Saturday, April 24, 2010

Howard Pease, Pat et un compte rendu à la St-Jean

Vous avez sans doute tous entendu parler du canard à l’orange, des crêpes à la française, des pommes de terre à la normande et de toute une foule d’autres recettes à la quoi que ce soit. Ce qui suit est une description de l’une de mes recettes de classes préférées, le compte rendu de livre à la St-Jean. Cette recette saura aiguiser l’appétit des étudiants les plus déconcertés et satisfaire les exigences du ministère de l’Éducation en matière de l’intégration des capacités linguistiques. Cette recette spéciale, ou toute adaptation, et la méthode de travail qu’elle suppose et sur lesquelles elle est fondée devraient figurer dans le livre de recettes pédagogiques de chaque professeur de langue.

Tout comme la plupart de nos outils pédagogiques, celui-ci a sa propre histoire et a évolué de façon marquée au cours des années. C’était au début des années soixante-dix, en faisant énormément de lecture dans le but d’élaborer un programme sur les médias de masse, pour l’école où j’enseignais que je suis tombé par hasard sur une lettre qu’un écrivain de romans pour adolescents avait écrite à l’un de ses jeunes lecteurs qui désiraient connaître la différence entre un bon et un mauvais livre, entre celui qui vaut la peine d’être lu et celui qui n’en vaut pas l’effort. Le nom de l’écrivain était Howard Pease et celui du jeune lecteur, Pat. J’ai lu la lettre et comme il nous arrive parfois, mon esprit s’éclaira… La lettre d’Howard Pease à Pat est un document que mes étudiants venaient à connaître à fond durant le cours d’un an.

De tous mes outils d’enseignements, celui-ci est devenu un de mes plus précieux, grâce à son habilité à faire de mes étudiants de meilleurs « lecteurs » de romans, de films, d’émissions à la télévision.


UNE VÉRITÉ MALHEUREUSE…

Dans nos classes de langue, on assigne certains livres qui doivent être lus pour une date spécifique. Ceci est bien.

Malheureusement, ce qui s’en suit n’est pas, selon moi, si bien. Le professeur arrive en classe, souvent le vendredi, et donne à ses étudiants un test de contenu, qui consiste de 25 questions ou plus du type : remplissez l’espace, soulignez le bon mot ou choix multiple. Ceci est dans le but d’apprendre si l’étudiant à bien lu le livre. Notons ici que tout ce que l’élève requiert pour réussir le test est une bonne mémoire
.
L’étudiant retourne à la maison pour le weekend armé de photocopies d’analyses de critiques de haute renommé sur la biographie de l’auteur, le style, les thèmes ou encore les symboles majeurs du roman. De plus, on lui demande d’acheter un exemplaire des notes Cole’s ou de documents semblables pour lire durant la fin de semaine.

C’est le lundi que finalement le gros du travail débute, au moins pour le professeur. Celui-ci se présente en classe avec sa serviette pleine à craquer de notes au sujet du roman en question qu’il est allé chercher dans les matériaux les plus érudits — et dans les notes Cole’s… Ainsi armé à son tour, il commence une analyse, chapitre par chapitre, du roman. Parfois, ceci dure plusieurs semaines, selon le temps disponible au calendrier scolaire. À la fin, essoufflé, fatigué par tout ce travail qu’il a du faire pour leur aider à sortir des cavernes, il leur donne un autre test de contenu pour vérifier s’ils développaient leurs habiletés d’écoutes pendant qu’il développait son habileté de parler.

Et partout dans le monde, nos ministères d’éducation se demandent pourquoi nos jeunes ont tellement de misère à développer les habiletés langagières de l’écoute, du parlé, de l’écrit et de la lecture. Celui qui fait le travail apprend. C’est aussi simple que ça. Si c’est le professeur qui fait tout ou presque tout le travail, c’est lui qui en profite.

Si vous commencez maintenant à vous poser des questions en ce qui a trait à mes sources d’information sur ce qui se passe trop souvent dans nos salles de classe, je vous en prie, n’allez pas plus loin. Toutes les erreurs mentionnées ci-haut je les ai commises. Mea culpa! Mea culpa! Mea maxima culpa! Et un jour, peut-être comme St-Paul, je suis tombé du haut de mes grands chevaux et j’ai vu la lumière. [J’espère pouvoir vous en dire plus au sujet de ma philosophie de l’enseignement d’une langue dans un autre écrit.]

Ce que j’ai toujours aimé de l’approche Pease en ce qui a trait à la vraie lecture d’un livre est qu’elle met la responsabilité de la compréhension de ce qui vient d’être lu où elle appartient : dans les mains du lecteur! Aussitôt qu’un apprenant comprend ce qu’est un critère ainsi que les quatre critères d’Howard Pease pour évaluer un roman, un film, il peut par lui même en tirer profit de n’importe livre qu’il lit, de n’importe film qu’il visionne. En effet, il est sur la bonne route pour devenir un bon critique; tout en même temps il acquiert les habilités langagières que ses professeurs de langues sont mandatés de lui faire acquérir.


CELA DIT…

Voici comment je traitais du compte rendu à la ST-JEAN.

Durant la première semaine de classe, je signalais à mes étudiants qu’ils auraient à lire deux livres supplémentaires durant notre temps ensemble pour en faire des comptes rendus. L’un de ces comptes rendus serait présenté sous forme de composition écrite [ qu’ils apprendraient à faire durant la première partie du semestre] et l’autre ferait l’objet d’une présentation orale devant le reste de la classe. C’est l’aspect le plus important du programme d’expression orale. Je les assurais également qu’au moment venu ils seraient bien en mesure de faire une bonne présentation, tout comme l’avaient fait leurs prédécesseurs.

Je leur demandais donc de choisir et de faire approuver leurs livres aussitôt que possible, car le temps s’écoulait vite. Je les avertissais aussi des dangers de la procrastination… Ils étaient maintenant prêts à commencer.Après bonne secousse, je parvenais en fin à leur enseigner la méthode du compte rendu à la St-Jean.

Premièrement, je leur faisais lire tout bas la lettre d’Howard Pease. Ensuite, on la lisait et discutait en groupe. Au moyen d’unités d’études spécifiques, les étudiants examinaient et analysaient plus en détail les quatre critères d’évaluation d’un roman proposés par M. Pease. Ces unités prenaient des formes différentes presque et chaque année, mais elles visaient toujours à assurer la grande participation des étudiants dans diverses activités linguistiques. Au cours des années, je m’étais rendu compte que le plus je travaillais le plus que c’était moi qui apprenais. J’essayais donc faire en sorte qu’ils aient le gros du travail.

Je leur demandais par exemple de se diviser en groupes et de trouver, pour la classe suivante, des moyens qui aideraient aux étudiants de chaque groupe à apprendre ce qu’était un thème. Après avoir étudié et discuté ensemble les moyens proposés par chaque groupe, les étudiants étaient prêts à évaluer n’importe quel roman, film ou oeuvre littéraire selon le premier critère de Homard Pease qui est de « trouver le thème d’une histoire et l’exprimer le plus brièvement possible en ses propres termes. »

Après avoir étudié les quatre critères au moyen d’unités semblables, les étudiants étaient appelés à évaluer, selon les quatre critères de M. Pease, un film qu’ils avaient vu récemment. Ils procédaient ensuite à l’évaluation d’un des romans étudiés en classe et à une discussion de groupe. À la fin de cet exercice, ils commençaient à connaître très bien Howard Pease et ses quatre critères et étaient en mesure de les appliquer eux-mêmes.

À ce moment, je leur rafraîchissais la mémoire en ce qui avait trait aux deux comptes rendus de livre à préparer. Je leur signalais quand le compte rendu du livre écrit devait être remis. Cette date ne posait habituellement aucun problème, car les étudiants avaient déjà assimilé toutes les étapes à suivre pour rédiger une dissertation, à partir de la sélection d’un sujet jusqu’au dernier brouillon. Nous avions étudié ces étapes en classe. Aussi, les étudiants avaient rédigé une composition en groupes et ils avaient déjà remis ou étaient en train de préparer un travail important dans le but de mettre en pratique individuellement ce qui avait été fait en groupe.

Habituellement, c’est le compte rendu de livre oral qui est le plus déconcertant pour les étudiants. Voici comment je m’y prenais pour les aider à réussir.

Je demandais à un étudiant de reproduire sur une feuille de 8”x11” le calendrier scolaire pour la durée du cours. Je marquais ensuite d’une croix les jours de classe normale. J’avais appris au cours des années que d’avoir plus de deux présentations par semaine tendait à devenir monotone. Je laissais donc deux jours par semaine libres sur le calendrier.

À l’aide de ces calendriers, les étudiants choisissaient leur date de présentation en écrivant au stylo leur nom dans la case appropriée. J’avertissais les étudiants que les premiers arrivés seraient les premiers servis. Les étudiants pouvaient prendre toute la période pour faire leur présentation — et la plupart avaient besoin de tout le temps alloué!

Chaque présentation devait débuter par un bref sommaire du livre choisi. Si ce livre n’était pas un roman, l’étudiant devait, avec mon aide, établir d’autres critères d’évaluation. Ceci était de mise parce que quelques-uns des critères de M. Pease ne se prêtent pas bien à l’évaluation d’oeuvres littéraires telles que les biographies, les autobiographies, la littérature informative, et ainsi de suite.
Ce sommaire était suivi d’une évaluation exhaustive du livre lu selon les critères d’Howard Pease que l’on retrouve dans sa Lettre à Pat,qui suit cet écrit. Chaque présentation prenait habituellement la plupart de la période de rencontre. Toutefois, j’exigeais que les 7 ou 10 dernières minutes soient réservées pour une période de questions.

Ceci résume ce que devait faire celui qui présentait. Mais, pendant ce temps, que devait faire celui qui écoutait, surtout si la présentation n’était pas particulièrement intéressante, qui était assez souvent le cas, surtout aux niveaux juniors et non- académiques. [Il est important de se rappeler ici que le but de l’exercice était d'améliorer les techniques d’expression orale de celui qui présentait. Il était donc irréaliste de s’attendre à ce que celui - ci soit en mesure de s’exprimer comme un expert.] J’ai donc songé à diverses tâches que pouvaient accomplir ceux qui écoutaient pour les maintenir éveillés.

Par exemple, à la fin de la période, je choisissais au hasard deux ou trois étudiants qui devaient préparer individuellement une critique de la présentation qu’ils venaient d’entendre. Ces critiques devaient être écrites et présentées au début de la prochaine classe où il n’y aurait aucune présentation. Il se pouvait qu’un étudiant soit choisi deux ou même trois fois de suite. Aucun étudiant ne se permettrait pas d’être distrait même s’il avait déjà été choisi une ou deux fois pour rédiger une critique.

Les étudiants pouvaient aussi être appelés à écrire sur un bout de papier quelques questions qui poussaient à la réflexion et/ou à la discussion sur les divers sujets qui avaient été touchés durant la présentation. Je recueillais parfois ces questions pour les noter. Souvent on s’en servait pour entamer la discussion. Ces activités occupaient la plupart de mes étudiants durant chaque présentation. Il va sans dire qu’il me faillait consacrer un certain temps à leur apprendre comment préparer une critique constructive et comment poser des questions qui poussaient à la réflexion. On dressait également une liste des critères à remplir pour bien s’exprimer laquelle liste était pour servir dans l’évaluation de la présentation orale.

Aux niveaux plus avancés, j’exigeais que mes étudiants en fassent davantage dans leurs travaux oraux et écrits. Ils devaient non seulement se servir des critères d’Howard Pease mais aussi identifier, expliquer et utiliser deux de leurs propres critères pour évaluer une « oeuvre littéraire ». [J’emploie « littéraire » au sens large du terme, c’est-à-dire pour comprendre les oeuvres écrites ainsi que les films, les émissions de télévision, etc.].

Et voilà ce qui en était du compte rendu de livre à la St-Jean: un outil pédagogique qui assurait la participation de tous les étudiants à une myriade d’activités linguistiques. En fait, il touche à tous les aspects principaux de la langue soit lire, écrire, parler, écouter et penser.

Les étudiants n’oublient jamais le compte rendu à la St-Jean. Ils s’en sont servi trop souvent pour ne pas s’en souvenir. Il y a quelques années une étudiante à qui j’avais enseigné environ dix ans auparavant m’a demandé si je me souvenais de la lettre qu’Howard Pease avait écrite à Pat. Naturellement, je lui ai répondu à l’affirmative. Elle m’a ensuite demandé si j’aurais l’obligeance d’en envoyer une copie à sa mère qui était professeur à une école primaire à Sudbury et qui suivait un cours de langue à l’université. Elle voulait apprendre une technique pour évaluer un roman, car elle devait faire un compte oral d’un roman. Je lui ai expédié le matériel requis et j’ai appris par la suite que la mère et la fille m’étaient très reconnaissantes, car le travail de la mère lui avait mérité l’éloge de son professeur.

En résumant, il est important de noter que la recette décrite ci-haut peut s’adapter d’une multitude de façons. La flexibilité est la clé de l’usage efficace des quatre critères d’Howard Pease. Ceux-ci peuvent être utilisés de diverses façons, pour des fins diverses et à divers niveaux scolaires. Par exemple, au rang académique de la 12e année, on peut s’en servir pour évaluer deux livres, l’un sous forme de dissertation et l’autre sous forme de présentation orale devant la classe. D’autre part, les étudiants au secteur non académique de la 12e année, peuvent s’en servir pour évaluer un livre et/ou un film et/ou une émission de télévision.

Il vaut la peine de se rappeler que le critère de prime importance chez Howard Pease est l’adaptation. Et, je vous assure que les possibilités d’adaptation sont illimitées…

Bonne chance!

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